samedi 23 février 2013

Manger au Maghreb : le goût de la viande



Appel à contribution
Revue Horizons Maghrébins – Presses Universitaires du Mirail
Pour le numéro à paraître en novembre 2013, date butoir pour l’envoi de l’article le 10 septembre 2013
Manger au Maghreb : le goût de la viande
Histoire, technique, consommation et représentations

Présentation

Est-il nécessaire de rappeler l’importance du rôle que joue la religion, en l’occurrence l’islam, dans les représentations relatives à la viande et à l’alimentation carnée en général. De nombreuses études parues ces trois dernières décennies, pour la plupart en langues européennes, sont très parlantes à ce propos. Mais la viande, bien évidemment, n’est pas qu’un produit issu d’une dabiha ou d’'une dahiya, à savoir d’un animal soumis aux règles de ce qui est licite ou illicite,règles de l’abattage rituel ou du sacrifice. L’approche ritualiste, qui prévaut encore dans ce domaine jusqu’à nos jours, n’épuise pas, loin delà, le sujet, bien qu’elle permette d’en déceler certains de ses aspects les plus pertinents. Aussi, la viande, doit être également étudiée pour elle-même.
Manger de la viande est un acte socioculturel qui traduit et forme des identités complexes, fondées sur de nombreux facteurs : historiques, culturels, économiques, diététiques et techniques. Pour les médecins musulmans du Moyen Âge, comme pour leurs prédécesseurs grecs, la viande, avec les céréales, est certainement l’aliment qui passe pour être le plus nourrissant et qui procure le plus de force à l’organisme. Mais, toutes les catégories de viande ne se valent pas. Les choix peuvent être hiérarchisés en fonction de plusieurs critères, comme la race de l’animal, son sexe, son âge, sa provenance géographique et les conditions d’élevage. Quant aux jugements portés sur les parties de l’animal, s’ils traduisent généralement des préférences alimentaires ou culinaires particulières voire régionales, ils sous-tendent aussi des conceptions anciennes en rapport avec la physiologie antique et médiévale et son pendant théorique, la célèbre théorie des éléments et des humeurs. En dehors des traités de médecine, des recueils de cuisine, et de certains manuels de hisba (institution dédiée au contrôle des marchés en Islam), on ne dispose, il est vrai, que de peu de données permettant d’appréhender avec une certaine précision l’alimentation carnée. Cependant il faut noter que les données que recèlent les livres de géographie, dont nous disposons pour l’Occident musulman, en rapport notamment avec les questions d’élevage et du pastoralisme, plus rarement avec les marchés de viande et les prix, peuvent s’avérer d’un grand intérêt pour notre propos. Au-delà du phénomène des disparités géographiques ou régionales que ces livres mettent en évidence, ils suggèrent plus généralement une grande consommation carnée. C’est ce que tendent à démontrer également les livres de cuisine des XIIe et XIIIe siècles, au regard du nombre relativement important de recettes comportant de la viande que l’on y retrouve, bien qu’il s’agisse certainement dans ce cas précis d’un trait caractéristique de l’alimentation des milieux aisés. D’un autre côté, l’alimentation en viande de boucherie était assurée principalement par les espèces ovines, bovines et enfin caprines. Mais si cette dernière semble généralement caractéristique de l’alimentation paysanne, surtout dans les zones arides ou de montagne, c’est le mouton qui constitue certainement la base de 2 l’alimentation carnée des villes, aussi bien au Moyen Âge qu’au cours des siècles suivants, comme ce fut le cas dans la plupart des pays méditerranéens. Cependant, il ne faut pas négliger, dans ce régime, l’apport que peuvent constituer les viandes issues des animaux de la basse-cour, surtout chez les citadins et les couches aisées. La volaille en constituerait vraisemblablement la part la plus importante. C’est ce qui ressort notamment de l’étude des recettes de cuisine dont nous disposons pour les XIIe et XIIIe siècles. En effet, environ la moitié des recettes (46,6 %) comporte une viande ovine (mouton, agneau), suivie par les viandes de la basse-cour (41,8 %) surtout de la volaille, alors que la viande bovine, provenant principalement de spécimens jeunes et de spécimens engraissés, n’atteint même pas les 10 %. Certes ces recettes renvoient, pour l’essentiel, à une cuisine andalousienne et Maghrebo - occidentale (en gros le Maroc actuel et le Gharb algérien), mais rien n’empêche qu’il en soit autrement dans les autres parties du Maghreb, surtout dans les villes. La viande du mouton tient également une place qui nous paraît encore prédominante dans les milieux Makhzen marocain à l’époque précoloniale (XIXe siècle), ainsi que nous le montre les comptes des dépenses palatiale. En revanche, et à peu près à la même époque, c’est la viande bovine qui semble avoir été la plus estimée dans les milieux beylicaux de Tunis. Suivant les données d’archives, rendues publiques récemment dans le cadre de travaux universitaires, le boeuf serait consommé quotidiennement mais on le trouve également présent lors de la plupart des célébrations de la vie familiale et religieuse, excepté toutefois en ce qui concerne les célébrations sacrificielles comme celle de l’Aïd el-Kébir où le bélier demeure incontournable. Dans les milieux du Makhzen marocain, le boeuf n’était généralement employé que pour la confection du khli’, une sorte de viande séchée et confite dans un mélange d’huile et de graisses animales. Une pratique qui nous rappelle largement celle relevée dans la cuisine palatiale ottomane d’Istanbul à la même époque. On peut s’interroger, s’agissant de cet exemple tunisien, s’il ne s’agit que d’une évolution récente ou plutôt de pratiques plus anciennes rappelant celles remarquées dans un autre pays d’Afrique du Nord, géographiquement et culturellement très proche, l’Égypte ? Mais qu’en est-il à ce propos de la consommation des milieux populaires ?
La question de l’alimentation carnée renvoie tout d’abord aux problèmes liés au statut culturel de l’animal et surtout à ceux en rapport avec l’élevage et l’économie agro - pastoral. Au Maghreb, où le pastoralisme en tant que genre de vie et mode d’élevage, a prédominé jusqu’au début du siècle dernier, l’élevage des animaux de boucherie est conduit d’une manière générale de façon extensive. Cependant, la prédominance de cette forme d’élevage n’exclut pas, comme au Moyen Âge, l’existence d’un élevage d’engraissement. Mais c’est sous l’'occupation française que ce secteur va connaître le début d’un grand changement dans les techniques d’élevage. Un changement qui a eu des répercussions aussi bien dans la définition des fonctions du troupeau que dans les pratiques de boucherie. La politique initiée par les Français sera poursuivie plus tard dans le cadre même des états postcoloniaux, sans que cela, loin de là, n’amène à l’élimination totale des pratiques traditionnelles. Des études récentes relatives au Maroc par exemple, décrivent bien le mécanisme par lequel la politique de l’État à l’égard de l’élevage laitier bovin, inaugurée dans les années 60 du siècle dernier, a pu influencer l’offre et les pratiques de consommation carnée. Parmi les conséquences de cette politique, on notera une nette progression de l’offre en viande bovine, considérée jusqu’alors comme une nourriture de pauvres ou de campagnards. En effet, jusqu’aux années 90 du siècle dernier, la consommation de la viande ovine bénéficiait d’un grand estime au point de vue organoleptique et alimentaire. C’est seulement vers le milieu de ces années-là que la consommation de boeuf va pouvoir dépasser nettement pour la première fois celle du mouton. On note également un important changement au regard de certaines pratiques alimentaires traditionnelles, en se référant de plus en plus à des modèles importés d’Europe (France). Ce processus d’acculturation concerne autant les formes culinaires que les 3 techniques de boucherie, comme la découpe ou le lexique des morceaux. Un aspect qui mérite sans doute d’être interrogé.
Au Maghreb, le développement du marché de la viande, favorisé par le développement des techniques d’élevage, du développement du transport et de l’industrie du froid, acquiert certes aujourd’hui une importance jamais atteinte auparavant. Mais si, en Europe occidentale, la consommation de la viande a cessé depuis longtemps d’être le privilège des classes aisées, il en est certainement autrement dans les pays du Maghreb. La viande y est considérée encore comme un aliment rare et coûteux, aussi apparaît-t-elle comme un facteur discriminant du niveau de vie.

Thèmes
Plusieurs thèmes demandent à être explorés, en voici quelques exemples :

I- Histoire : élevage, approvisionnement, marché de la viande, découpe, hygiène et santé, hiérarchisation des choix, consommation et cuisine. Il s’agit de mettre en évidence les évolutions et les permanences significatives dans ces domaines, sur les plans culturels et techniques. Des études spécifiques peuvent être envisagées notamment pour le Moyen Âge, l’époque précoloniale et coloniale. Des contributions hors Occident musulman ou hors Maghreb seront souhaitables, à condition qu’elles traitent d’une réalité historique méditerranéenne.

II - Viande et société : élevage, métiers de la viande et consommation. Un thème qu’il convient d’examiner à travers les multiples facettes de la filière, dans le cadre des sociétés maghrébines contemporaines, et ce en fonction des axes suivants :
1- l’étude de l’évolution des techniques de l’élevage, la question des races etc., les effets sur l’offre.

2- L’étude de l’organisation sociale, technique et commerciale de la boucherie traditionnelle et moderne ; le rôle de cette dernière (boucherie - traiteur) dans la diffusion de nouvelles pratiques alimentaires (découpe, lexique des morceaux etc.).

3- Autres métiers traditionnels liés à la viande : rôtisseurs, hacheurs, charcutiers, khlay’iya-s (fabricants de viande confite), mdjabniya (fabricants de boyaux farcis).

4- Evolution de la consommation carnée, répartition sociale et géographique, cuisine et tendances alimentaires (nouvelle hiérarchisation des choix, le rôle de la diététique moderne, les notions baldi et rumi etc.).

III - La viande une culture : l'objectif de cette rubrique est de questionner les pratiques des groupes sociaux ou des pays objets de l'étude dans leur contexte socioculturel propre afin d'en appréhender les logiques qui sous-tendent ces pratiques, les choix et les préférences.
1- La viande comme vecteur de sociabilité, comme marqueur de bien-être et de distinction sociale.

2- La viande nourriture ordinaire, nourriture festive. Quel rôle dans les moments importants du calendrier religieux et agricole ?

3- Rôle et fonction du sacrifice sanglant, entre logique rituelle et choix alimentaires ou gastronomiques, formes et pratiques d’une cuisine sacrificielle ?

4- Traditions particulières de la culture amazigh : pratiques de partage rituel de viande (timshriht, tawza’t,luzi’t, lma’ruf…), quelle fonction aujourd’hui ?

Invités du numéro : Dans une perspective comparatiste, la rédaction, ouvre ce volume également pour des contributions hors Maghreb, en particulier les aires géographiques de culture musulmane, comme l’Afrique subsaharienne, la Turquie et le Machrek.
Mohamed Oubahli
Paris , janvier 2013 


Mohamed Oubahli est docteur en histoire et civilisations, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS/Paris). Vient de publier, en 2012 : La main et le pétrin. Alimentation céréalière et pratiques culinaires en Occident musulman au Moyen Âge. Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud, Casablanca, 591 p. L’auteur a conçu et dirigé deux numéros de la revue Horizons Maghrébins, consacrés à l’alimentation au Maghreb et en Méditerranée. [Site Web : http://w3.horizons-maghrebins.univ-tlse2.fr/].Mohamed Oubahli, chercheur et conférencier, est spécialiste de l’histoire de l’alimentation et de l’agriculture de l’Occident musulman et de la Méditerranée. 

Conditions de participation :
-La revue Horizons Maghrébins à été fondée en 1984. Elle est dotée d’un comité de lecture international. Elle participe à faire connaître les travaux universitaires concernant les deux rives de la Méditerranée. La revue n’a jamais rémunéré les auteurs. Les contributeurs s’engagent à envoyer des articles inédits. Ils reçoivent un exemplaire de la revue dès sa parution. 

Pour participer à cette publication :
-Envoyer une fiche technique composée d’une courte présentation de l’article : titre (même provisoire), résumé en 10 lignes maximum, quelques mots-clés ; d’une présentation de l'auteur, en signalant ses publications les plus récentes liées au thème choisi ou en rapport avec l'alimentation en général.
-Les articles complets devront nous parvenir avant la date butoir du 10 septembre 2013
- Ne pas dépasser 8 pages (avec 2900 signes par page)
Pour tous renseignements, contacter :
Mohammed Habib Samrakandi: habib.samrakandi@univ-tlse2.fr
Directeur de publication, Rédacteur en chef de la revue Horizons Maghrébins
Coordinateur, chargé du dossier artistique de la revue
Mohamed Oubahli
Responsable scientifique de ce volume
Courriel : mohamed.oubahli@laposte.net
Adresse de la rédaction : Mohammed Habib Samrakandi
Horizons Maghrébins- CIAM –
Université de Toulouse II - le Mirail
5, allée Antonio Machado 31058 Toulouse cedex -09
Téléphone : 05 6150 4795
Email : habib.samrakandi@free.fr et habib.samrakandi@univ-tlse2.fr

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